Vous semblez avoir bien aimé le premier article, aujourd'hui je vous propose un deuxième article 5 questions à... Vous l'avez vu dans le titre, j'ai eu l'opportunité de pouvoir poser mes questions à Christelle Dabos, autrice de la saga La Passe-Miroir : ma plus belle découverte de 2019. J'ai eu un énorme coup de coeur pour cette histoire et c'était un véritable honneur que de pouvoir échanger avec Christelle Dabos dessus. Difficile pour moi de ne choisir que cinq questions, j'aurais aimé pouvoir faire plus... mais le jeu c'est le jeu !
Je crois qu'il est inutile de vous présenter la saga. Les aventures d'Ophélie ont été lues par plus d'un d'entre vous, et même en n'ayant pas lu la saga, vous avez forcément déjà vu le titre quelque part. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à lire mes quatre chroniques concernant La Passe-Miroir : tome 1 - tome 2 - tome 3 - tome 4.
Assez parlé, j'espère que cet article vous plaira et que vous prendrez autant de plaisir à lire les réponses de Christelle Dabos que moi !
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La Bibli de Cam : Plusieurs passages de La Passe-Miroir présentent un personnage qui se bat contre l’exploitation de l’homme par l’homme à travers la création d’automates. Cette solution est ensuite contestée à plusieurs reprises dans la suite de la saga, ce qui rappelle l’émergence des technologies dans notre société. Cet exemple m’amène à me demander : pensez-vous que la saga porte en elle une dimension idéologique, ou en tout cas une opinion marquée sur notre société actuelle ?
Christelle Dabos : Je n’ai aucune réponse, uniquement des questions. Pour reprendre l’exemple de la machine qui délivre l’homme du travail : cette idée n’a rien de personnel, elle est inspirée du positivisme religieux du XIXe siècle où l’on croyait que le progrès technique serait nécessairement porteur de bonheur. Dans la Passe-miroir, les automates mettent des hommes au chômage ; en parallèle, il y a aussi un prototype d’ordinateur qui va favoriser la conservation et la consultation de tout un patrimoine. Et c’est exactement ce qu’on observe autour de nous aujourd’hui. La technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Ce qui m’intéresse, c’est l’humain et toutes ses contradictions. Comment un personnage mu par les meilleures intentions du monde finit par basculer dès l’instant où il s’enferme dans un seul point de vue. Comment il projette sur son environnement un conflit qui lui est d’abord intérieur. C’est cette mécanique de l’intime, cette vérité plurielle pleine de paradoxes, qui me passionne.
LBDC : On ne peut s’empêcher de reconnaître quelques références dans la saga, à commencer par la Tour de Babel dans le tome 3. Où puisez-vous vos principales inspirations ?
CD : Quand on me demande mes sources d’inspiration pour La Passe-miroir, je cite d’office la Croisée des mondes de Philip Pullman, les Harry Potter de J. K. Rowling, Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll et les films d’animation de Hayao Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant). Mais il y a en effet bien d’autres référentiels qui m’ont inspirée de façon plus ou moins délibérée. Les mythologies, les contes, les récits bibliques, les grands moments de l’histoire se mélangent et se fondent dans un inconscient collectif qui vient lui-même fusionner avec ma symbolique personnelle. Tout ceci finit par former un arrière-plan qui fait partie de moi, presque à mon insu. Ainsi, dans La Passe-miroir, l’architecture est conçue selon une verticalité vertigineuse où l’on passe du très bas au très haut, du minuscule au gigantesque : il y a là-dedans un peu de l’Enfer de Dante, de la tour de Babel, des cathédrales gothiques et du palais du Roi et l’Oiseau. Peut-être parce que ces symboles sont la matérialisation de l’attraction/répulsion que j’éprouve envers le vide. Il y a aussi ma propre “mythologie familiale” qui m’inspire beaucoup ! Mon compagnon, mon père, ma mère, mon frère, ma soeur : chacun va, à sa façon, laisser une empreinte sur mon imaginaire.
LBDC : L’univers de La Passe-Miroir semble quasiment infini au niveau des arches, des dons, des possibilités. Envisagez-vous de continuer à exploiter cet univers (sans nécessairement faire une suite) ? Et dans le cas contraire, n’est-ce pas frustrant de mettre un point final là où il y aurait encore tant à écrire ?
CD : Il n’y a aucune frustration en ce qui me concerne. La Passe-miroir m’a accompagnée durant douze années. J’ai le sentiment d’avoir exploré tout ce que je voulais explorer dans cet univers. C’est l’intériorité des personnages qui m’a fait vibrer : ce que j’ai réussi à vivre à travers eux. Les limites auxquelles je me suis confrontée aussi, ce qui reste inachevé ou inabordé, ça aussi ça fait partie de l’expérience et c’est parfait pour moi. Je suis heureuse si, dans cet infini des possibles, certaines lectrices ou certains lecteurs se sentent l’envie de prendre la relève et de prolonger mon imaginaire à travers le leur.
LBDC : Dans la saga, même si une histoire d’amour est représentée, les deux protagonistes forment plus un duo, une équipe, qu’un véritable couple, les scènes dites « romantiques » étant relativement réduites. Pensez-vous qu’aujourd’hui la romance est trop présente dans les romans, au détriment du reste de l’histoire, notamment dans les romans jeune adulte ?
CD : La question implique qu’un couple se définit en tant que tel à travers une dimension romantique. Je ne le ressens pas ainsi. Je ne le vis pas ainsi. Un couple est, pour moi, la rencontre de deux altérités qui passent du “toi et moi” au “nous”. Cet instant où l’ego se dissout pour accueillir une réalité plus vaste que lui seul. Tout le reste (les bisous, les papouilles, les mamours) n’est jamais que l’expression de cette ouverture. Dans tous les cas, je ne maîtrise pas assez l’actualité littéraire pour savoir “ce qui se fait” et plus encore “ce qui se fait trop” dans le secteur jeune adulte. En fait, j’ignorais jusqu’à maintenant que la romance y occupait une telle place.
LBDC : Par rapport aux héros que l’on a d’ordinaire dans les romans, Ophélie est plutôt marginale par son côté timide, chétif et maladroit. Qu’est-ce qui a motivé votre choix lorsque vous avez créé ce personnage ?
CD : Ophélie s’est imposée d’elle-même, comme une évidence. Mes personnages m’aident à mettre en lumière des blocages qui me sont personnels. Par exemple, avant la Passe-miroir, j’avais écrit une histoire où l’héroïne était d’une susceptibilité maladive qui m’a aidée à guérir de la mienne. Pour Ophélie, ça a été le même processus. Je lui ai conféré mes propres limitations, à ceci près qu’elle ne les vit pas du tout de la même façon. À aucun moment je ne laisse entendre qu’Ophélie est complexée par sa maladresse. C’est quelque chose qu’elle a accepté et elle compose avec. Ça m’a aidée à me libérer : non pas de ma gaucherie, mais du jugement que je m’en faisais. Mais Ophélie n’est pas vraiment moi. J’en parle souvent comme d’un reflet inversé. Elle est frêle en apparence, mais peu émotive. Moi, c’est tout le contraire : bien bâtie, mais on peut lire en moi comme dans un livre ouvert !
Christelle Dabos : Je n’ai aucune réponse, uniquement des questions. Pour reprendre l’exemple de la machine qui délivre l’homme du travail : cette idée n’a rien de personnel, elle est inspirée du positivisme religieux du XIXe siècle où l’on croyait que le progrès technique serait nécessairement porteur de bonheur. Dans la Passe-miroir, les automates mettent des hommes au chômage ; en parallèle, il y a aussi un prototype d’ordinateur qui va favoriser la conservation et la consultation de tout un patrimoine. Et c’est exactement ce qu’on observe autour de nous aujourd’hui. La technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Ce qui m’intéresse, c’est l’humain et toutes ses contradictions. Comment un personnage mu par les meilleures intentions du monde finit par basculer dès l’instant où il s’enferme dans un seul point de vue. Comment il projette sur son environnement un conflit qui lui est d’abord intérieur. C’est cette mécanique de l’intime, cette vérité plurielle pleine de paradoxes, qui me passionne.
LBDC : On ne peut s’empêcher de reconnaître quelques références dans la saga, à commencer par la Tour de Babel dans le tome 3. Où puisez-vous vos principales inspirations ?
CD : Quand on me demande mes sources d’inspiration pour La Passe-miroir, je cite d’office la Croisée des mondes de Philip Pullman, les Harry Potter de J. K. Rowling, Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll et les films d’animation de Hayao Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant). Mais il y a en effet bien d’autres référentiels qui m’ont inspirée de façon plus ou moins délibérée. Les mythologies, les contes, les récits bibliques, les grands moments de l’histoire se mélangent et se fondent dans un inconscient collectif qui vient lui-même fusionner avec ma symbolique personnelle. Tout ceci finit par former un arrière-plan qui fait partie de moi, presque à mon insu. Ainsi, dans La Passe-miroir, l’architecture est conçue selon une verticalité vertigineuse où l’on passe du très bas au très haut, du minuscule au gigantesque : il y a là-dedans un peu de l’Enfer de Dante, de la tour de Babel, des cathédrales gothiques et du palais du Roi et l’Oiseau. Peut-être parce que ces symboles sont la matérialisation de l’attraction/répulsion que j’éprouve envers le vide. Il y a aussi ma propre “mythologie familiale” qui m’inspire beaucoup ! Mon compagnon, mon père, ma mère, mon frère, ma soeur : chacun va, à sa façon, laisser une empreinte sur mon imaginaire.
LBDC : L’univers de La Passe-Miroir semble quasiment infini au niveau des arches, des dons, des possibilités. Envisagez-vous de continuer à exploiter cet univers (sans nécessairement faire une suite) ? Et dans le cas contraire, n’est-ce pas frustrant de mettre un point final là où il y aurait encore tant à écrire ?
CD : Il n’y a aucune frustration en ce qui me concerne. La Passe-miroir m’a accompagnée durant douze années. J’ai le sentiment d’avoir exploré tout ce que je voulais explorer dans cet univers. C’est l’intériorité des personnages qui m’a fait vibrer : ce que j’ai réussi à vivre à travers eux. Les limites auxquelles je me suis confrontée aussi, ce qui reste inachevé ou inabordé, ça aussi ça fait partie de l’expérience et c’est parfait pour moi. Je suis heureuse si, dans cet infini des possibles, certaines lectrices ou certains lecteurs se sentent l’envie de prendre la relève et de prolonger mon imaginaire à travers le leur.
LBDC : Dans la saga, même si une histoire d’amour est représentée, les deux protagonistes forment plus un duo, une équipe, qu’un véritable couple, les scènes dites « romantiques » étant relativement réduites. Pensez-vous qu’aujourd’hui la romance est trop présente dans les romans, au détriment du reste de l’histoire, notamment dans les romans jeune adulte ?
CD : La question implique qu’un couple se définit en tant que tel à travers une dimension romantique. Je ne le ressens pas ainsi. Je ne le vis pas ainsi. Un couple est, pour moi, la rencontre de deux altérités qui passent du “toi et moi” au “nous”. Cet instant où l’ego se dissout pour accueillir une réalité plus vaste que lui seul. Tout le reste (les bisous, les papouilles, les mamours) n’est jamais que l’expression de cette ouverture. Dans tous les cas, je ne maîtrise pas assez l’actualité littéraire pour savoir “ce qui se fait” et plus encore “ce qui se fait trop” dans le secteur jeune adulte. En fait, j’ignorais jusqu’à maintenant que la romance y occupait une telle place.
LBDC : Par rapport aux héros que l’on a d’ordinaire dans les romans, Ophélie est plutôt marginale par son côté timide, chétif et maladroit. Qu’est-ce qui a motivé votre choix lorsque vous avez créé ce personnage ?
CD : Ophélie s’est imposée d’elle-même, comme une évidence. Mes personnages m’aident à mettre en lumière des blocages qui me sont personnels. Par exemple, avant la Passe-miroir, j’avais écrit une histoire où l’héroïne était d’une susceptibilité maladive qui m’a aidée à guérir de la mienne. Pour Ophélie, ça a été le même processus. Je lui ai conféré mes propres limitations, à ceci près qu’elle ne les vit pas du tout de la même façon. À aucun moment je ne laisse entendre qu’Ophélie est complexée par sa maladresse. C’est quelque chose qu’elle a accepté et elle compose avec. Ça m’a aidée à me libérer : non pas de ma gaucherie, mais du jugement que je m’en faisais. Mais Ophélie n’est pas vraiment moi. J’en parle souvent comme d’un reflet inversé. Elle est frêle en apparence, mais peu émotive. Moi, c’est tout le contraire : bien bâtie, mais on peut lire en moi comme dans un livre ouvert !
Je tiens à nouveau à remercier Christelle Dabos pour s'être prêtée au jeu mais aussi à Eleonore (@dehombooks sur Instagram) sans qui cet article n'aurait pas pu voir le jour.
1 commentaires
Une entrevue très intéressante avec Christelle Dabos ! Je trouve que l'univers qu'elle a réussi à construire avec la Passe-Miroir est très complexe et amène beaucoup de questions. Celles que tu lui as posé étaient très pertinentes. Personnellement, je pense que j'aurais été un peu frustrée de ne pas développer un univers en entier, mais en même temps, l'univers des arches semble tellement infini que cela ressemblerait sans doute au travail d'une vie :)
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