Chronique #37 - Journal de L, Christophe Tison / Lolita de Vladimir Nabokov

By Camille - février 05, 2020



Pour une fois, j'ai voulu faire une photo qui était, non pas en adéquation avec le livre, mais plutôt en adéquation avec ce que j'aurais aimé trouver dans ce livre, ou plutôt, dans le journal d'une adolescente des années quarante. Plus de naïveté, plus de candeur, plus d'amourettes, plus d'enfance.

Si vous n'avez pas lu Lolita de Vladimir Nabokov, vous ne comprendrez peut-être pas la puissance de Journal de L. Dans cet article, je vais surtout parler de Journal de L, mais il m'est impossible de donner mon avis sur ce dernier sans évoquer Lolita. Commençons donc brièvement par ce dernier :

J'ai lu Lolita de Nabokov en septembre dernier et ce livre m'a bouleversée. C'est l'histoire d'une fillette, âgée de 12 ans au début du roman, kidnappée et abusée par son beau-père, Humbert Humbert, qui éprouve une réelle passion pour ce qu'il nomme les "nymphettes" c'est-à-dire les jeunes filles au physique attrayant et aux manières aguicheuses. Lolita, c'est un livre déroutant, parce qu'il peut nous conduire à éprouver une certaine compassion pour Humbert (compassion qui devient malsaine lorsqu'on referme le roman et qu'on prend un certain recul). Il nous fait parfois voir Lolita comme la coupable, et non la victime, ce qui lui a valu de devenir un nom commun qui désigne une "jeune fille aguicheuse". Mais Lolita n'est-elle que ça ? Pour moi, le génie de Nabokov repose justement sur cette ambiguïté. L'histoire est narrée par Humbert Humbert ce qui implique une vision particulière de la situation, vision dont le lecteur peine à sortir. N'est-ce pas véritablement ce qui se passe dans la réalité ? Quand on refuse de voir la vérité, ou quand on nous raconte ce que l'on croit être la vérité ? Ne faut-il pas mieux toujours entendre les deux versions d'une histoire pour en saisir ses enjeux et pour en tirer nous-même des conclusions ? Ce roman est pour moi plus que vertigineux, même si Nabokov, de son côté, rappelle bien qu'il faut sortir de la vision d'Humbert pour comprendre qu'une "Lolita", une "nymphette" n'existe que dans l'esprit de ce criminel et que c'est bien la perversité d'Humbert qui est dénoncée à travers ce roman, non celle de Lolita. (une vidéo si ça vous intéresse ). Je conclurais sur Lolita en vous invitant grandement à lire ce livre qui ne m'a clairement pas laissée indemne tant par le sujet qu'il aborde que par la plume absolument grandiose et extraordinaire de Nabokov.

Sortir de la vision d'Humbert... Mais comment ? Il est difficile de s'extraire de son regard sur Lolita. Et si on pouvait changer de point de vue ? Si on pouvait voir l'histoire autrement ? Sans cette ambiguïté, ce malaise que crée le personnage d'Humbert ? C'est le pari un peu fou de Christophe Tison dans Journal de L. Donner une voix à Lolita. Donner sa propre version de ce qui est finalement son histoire à elle. On est ici plongé dans un style d'écriture totalement différent. Dans Journal de L, Christophe Tison rend bien compte de la personnalité double de Lolita : elle est avant toute chose une jeune fille devenant progressivement adolescente, ce que l'on ressent bien dans son langage, mais elle est aussi devenue mûre avant les autres. Contrainte à grandir trop vite et trop tôt. On aurait aimé pouvoir lire un journal intime banal. Lolita présente en effet ses premiers amours, mais qui sont toujours supervisés par Humbert. Elle découvre la sexualité, décrite de manière crue et violente. Journal de L reste selon moi un livre difficile et dur. J'ai mis beaucoup de temps à le lire (plus encore que pour Lolita), et même à faire cette chronique car j'étais perturbée en le lisant, dégoûtée. Mais que penser d'un lecteur qui ne serait ni choqué,  ni dégoûté par ce genre de lecture ? On retrouve donc l'histoire que l'on connait déjà, celle de Dolores Haze, alias Lolita, parcourant les Etats-Unis aux côtés d'Humbert. Mais c'est aussi la découverte de scènes cachées, d'événements qu'on ne soupçonnait pas. Christophe Tison, loin de rester à la surface de l'oeuvre originale, rend son humanité à Lolita, qui n'était finalement qu'une simple poupée, qui ne s'exprimait que peu et qui n'avait presque aucun libre-arbitre chez Nabokov. Il parvient en définitive à garder l'essence de l'histoire tout en en donnant une interprétation vraisemblable, singulière, unique et bouleversante.

Cam

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1 commentaires

  1. J'ai lu Lolita il y a longtemps car ce livre portait mon prénom ahah c'était bien perturbant vu ce sujet ... et du coup ce livre a l'air intéressant vu son point de vue novateur !

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