Les papiers blancs #2 - Mensonges d'un idiot

By Camille - janvier 27, 2022

 



Chaque lundi, je participe à un atelier d'écriture au sein de mon école. Un thème, 1h pour écrire ce que l'on veut dessus, sous la forme que l'on veut. Ça ne vous rappelle rien ? Certains se souviendront peut-être des défis d'écriture que j'organisais en 2019 et qui étaient un peu sur le même principe. J'ai tout de suite adoré cet atelier grâce auquel je me perfectionne, j'expérimente et je fais de l'écriture quelque chose de plus régulier au sein de mon emploi du temps. 

Lundi dernier, on nous a proposé le thème suivant : "Mensonges d'un idiot". Je vous laisse découvrir mon texte qui mériterait sans doute de nombreuses corrections, mais que j'avais tout de même envie de vous faire lire. Je ne crois pas avoir partagé en ligne quoi que ce soit écrit de ma plume depuis au moins... 2015 peut-être ? J'ai carrément une boule de stress au coin du ventre, mais je me lance. 

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Mensonges d'un idiot


Les pas habiles de la jeune fille la portaient avec grâce et discrétion à travers la foule ambiante. Le souk était en pleine effervescence post-prandiale : à l’heure où on sortait de table, les touristes se ruaient par milliers dans les allées bruyantes du centre de la ville. Partout, ce n’étaient que couleurs kaléidoscopiques, babioles en tout genre et abondance de denrées. Nour se déplaçait comme une virtuose sur un clavier mal accordé sur lequel chaque touche risquait de faire s’effondrer l’harmonie de l’ensemble. Au moindre faux pas, un enchevêtrement de vaisselle ou une pile mirobolante de fruits pouvaient se casser la figure et braquer les regards sur la renarde de Nizwa. Redoutée par les plus vieux des commerçants eux-mêmes, la jeune fille écopait d’un surnom sans même que personne ne connaisse son visage. Son adresse était renommée et l’on saluait continuellement ses prouesses tout en préférant qu’elle en fasse usage chez les autres. Rien que la semaine dernière, on dénombrait un total de 100 000 rials dérobés sous le nez de tous. Elle était devenue légendaire. 

Nour avança dans son terrain de jeu habituel avec prudence et sagesse. C’était là la raison de son succès : elle ne se précipitait jamais, et considérait chaque nouveau marché comme un nouveau domaine à découvrir. Sur la place centrale s’était installé un potier qui exposait ses nouvelles œuvres par centaine. On n’aurait su trop dire s’il s’agissait de véritables pièces artisanales ou de pales copies industrielles, mais les vases se vendaient chers. En avançant un peu plus loin, sous les arcades, Nour aperçut l’un de ses coins favoris qui avait gagné le cœur des touristes en un rien de temps : le vendeur d’épices étalait dans des sacs de toile des dizaines de produits à l’odeur entêtante. Un peu plus loin, la marchandise était à observer au-dessus de vos têtes : des lanternes se balançaient au gré du vent dans un concert de tintements à la mélodie enchanteresse. La multitude d’étalages continuait ensuite sur quelques kilomètres à travers les dédales de la ville. 

Son tour finit, la jeune fille s’éclipsa des regards et gagna une petite ruelle d’où elle disparut instantanément. Seuls des yeux aguerris auraient pu l’apercevoir escalader la façade à une vitesse folle, prenant appui tantôt sur les rebords de fenêtre, tantôt sur les gouttières. Rien ne l’arrêta avant qu’elle ne parvienne sur le toit, où une étrange petite créature l’attendait. Elle rejoignait Nour sur ses deux pattes, comme l’aurait fait un homme, mais sa longue queue courbée ne permettait pas de s’y méprendre : c’était un singe qui grimpait agilement sur le dos de la voleuse pour rejoindre son épaule. « Ce soir, on va se faire un festin Zari » L’air malicieux de la demoiselle encouragea le sapajou à pousser un petit cri de contentement avant qu’il ne s’élance à grande vitesse dans les rues de Nizwa. Nour s’accroupit au bord du toit, scrutant les allées et venues de son compagnon et vérifiant qu’aucune brigade ne tournait. Ses faits et gestes étaient désormais scrupuleusement surveillés : tous étaient déterminés à percer le secret de la renarde et à pouvoir dévoiler le visage de celle qui était devenue le cauchemar de toute une ville. En quelques minutes seulement, un fatras se retrouva sur le toit : Zari ramenait tout ce qui lui était possible de dérober. Le toit se para de mille couleurs tandis que citrons, feuilles de menthe, bananes, mangues, amphores et jarres en tout genre, tissus de soie et tissus de coton, chaussures et dishdashas, s’amoncelaient sur les tuiles abimées.

Soudain, Nour se crispa et arrêta Zari avant qu’il ne reparte dans sa course au trésor effrénée. Une dispute venait d’éclater sur la place. Nour redescendit aussitôt de son perchoir et, jouant des coudes pour se rapprocher des éclats de voix, elle observa un des commerçants de fruits hurler sur l’un des membres de la milice. « Mais puisque je vous dis que j’ai tourné le dos une seule seconde et que tout un kilo d’agrumes avait disparu ! C’est la renarde je vous dis ! » Le policier semblait avoir bien de la peine à tenter de calmer le malheureux, dont les plaintes étaient accompagnées d’un grondement de colère de la part des autres marchands. La cacophonie était telle que Nour ne pouvait plus entendre ce qui se disait. « Moi, moi j’ai tout vu ! Moi j’ai tout vu ! » Se vantait une voix fluette qui émergeait derrière la fontaine. L’affirmation calma les badauds et le silence se fit entendre le temps que le primeur ne vienne à la rencontre de l’individu. Nour reconnut tout de suite l’idiot du village, avec sa tête disgracieuse et son sourire béat. Elle avait l’impression qu’il la dévisageait, du moins qu’il observait Zari, lequel avait repris sa place sur l’épaule de la jeune fille, mais c’était difficile à dire car ses yeux louchaient et s’affolaient dans plusieurs directions à la fois. « Mais si tu as tout vu, allons, parle ! » Enjoigna l’homme en uniforme, que l’idiot gratifia d’un éclat de rire. « Tu as vu la voleuse ? » Le commerçant se joignait à l’interrogatoire, devenu impatient. « Mais voyons, il n’y a pas de voleuse », dit l’idiot. Il compléta ses paroles de gestes brusques avec ses bras, balançant ses membres comme le ferait un animal et la foule commença à se disperser, lassée du vieux fou qui ne faisait pas avancer l’affaire. Pourtant, il n’avait pas menti, il n’y avait pas de voleuse. Les gestes et paroles de l’idiot n’avaient de sens que pour Nour, qui s’éloignait dans Nizwa le sourire aux lèvres : la voleuse était un voleur, du nom de Zari, et les gestes de l’idiot n’étaient pas ceux d’un fou, il singeait à la perfection la scène qu'il avait pu observer.
 

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